Que fait votre argent pour sauver la planète alors que s’ouvre la COP26, la conférence de la dernière chance pour limiter le réchauffement climatique?
Une bonne partie de votre épargne, celle qui assure(ra) votre chèque du Régime de rentes du Québec, est gérée par la Caisse de dépôt et placement, qui a récemment décidé de vendre ses dernières actions dans le pétrole, mais de conserver celles dans le gaz naturel et les pipelines.
La Caisse est l’une des 295 institutions financières de 40 pays qui, collectivement, gèrent des actifs supérieurs à 90 000 milliards de dollars américains, et qui se sont engagées à atteindre la carboneutralité de leur portefeuille d’ici 2050, à se fixer une cible intérimaire pour 2030, à établir une démarche guidée par la science et à faire rapport de leurs progrès annuellement.
Elles se sont ralliées sous la bannière de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), présidée par Mark Carney, envoyé spécial des Nations unies pour l’action climatique et la finance. Les banques canadiennes et Desjardins viennent d’y adhérer.
Leur grand défi : financer l’exigeante transition vers une économie verte, dont tripler les investissements dans les énergies propres d’ici 2030. Pour le Canada seulement, la Banque Royale estime à 2000 milliards de dollars les investissements requis pour atteindre la carboneutralité.
Toutefois, malgré toute la bonne volonté qu’on veut bien leur prêter, ou peut-être parce qu’on ne leur fait pas entièrement confiance, ces institutions financières ont besoin d’objectifs ambitieux et de cadres rigoureux imposés par les gouvernements.
Elles sont d’ailleurs assez lucides pour le reconnaître et réclamer le leadership du G20. Malheureusement, on sera déçus des engagements politiques pris à Glasgow.
La finance durable a atteint un point d’inflexion, où elle devient dominante, mais avec encore toutes les imperfections de l’immaturité. Elle progresse à vitesse grand V et, grâce à la vigilance de certains régulateurs, elle s’attelle à corriger ses failles, comme l’absence de données comparables pour jauger les entreprises où elle investit, et des critères pour départager les produits verts de ceux qui le prétendent ou qui le sont partiellement, car nouveaux dans la course.
La finance durable, comme la finance tout court, se décline dans une vaste gamme d’institutions et de produits qui jouent des rôles complémentaires au sein du système financier. Il n’y aurait pas de marché si tous avaient les mêmes besoins, le même goût pour le risque et les mêmes vues sur l’avenir. L’épargnant est donc confronté à « 50 nuances de vert », comme l’ont joliment écrit Carney et Janet Yellen, la Secrétaire américaine au Trésor.
Une étude du Fonds monétaire international (FMI) démontre que l’investisseur individuel se laisse influencer par l’étiquette que l’institution financière accole à ses produits, sans examiner la liste des ingrédients.
Comme en Europe, il nous faut des appellations contrôlées, mais qui font place aux entreprises en transition.
Les nouveaux objectifs climatiques de la Caisse illustrent bien la complexité des enjeux auxquels les institutions et les épargnants sont confrontés.
Prenons d’abord la vente des pétrolières. Qui dit vendeurs, dit acheteurs, récemment des fonds de couverture qui à court terme font fortune grâce à l’augmentation du prix du pétrole. Les producteurs polluent autant qu’avant. De même, on a vu des minières soigner leur image auprès des actionnaires en larguant leur charbonnage honni à des fonds privés, qui continuent de les exploiter en douce.
Pourquoi vendre alors ? Pour réduire le risque à long terme du portefeuille, quand on sait que l’industrie des hydrocarbures est appelée à se contracter fortement et à radier des réserves qui ne seront jamais exploitées. Ensuite, pour redéployer ce capital dans des industries plus prometteuses.
La Caisse agit aussi en actionnaire responsable par l’engagement et l’exercice de son droit de vote. Parfois, des discussions privées et le dépôt à l’assemblée générale de propositions contraignantes amènent la direction à corriger son comportement. Surtout lorsque plusieurs investisseurs institutionnels coordonnent leurs efforts, comme dans l’initiative Climate Action 100+, qui cible de gros émetteurs de GES.
Se débarrasser des pétrolières paraît bien, mais ne règle pas le cœur du problème, soit l’omniprésence des hydrocarbures dans l’économie.
La Caisse réserve donc une enveloppe de 10 milliards pour investir dans des entreprises polluantes, mais résolues à se décarboner, dans trois secteurs indispensables : le transport, l’agriculture et les matériaux comme le ciment et l’acier.
La Caisse vise enfin à investir 54 milliards d’ici 2025 dans des actifs verts pour tripler son portefeuille d’actifs sobres en carbone comme les énergies renouvelables, la mobilité et l’immobilier durables. L’ensemble de ces initiatives l’aideront à réduire de 60 % l’intensité de son portefeuille d’ici 2030.
La Caisse fait figure de leader parmi les grands investisseurs mondiaux, mais les autres institutions de la place financière de Montréal ne sont pas en reste. Investissements PSP, Desjardins, la Nationale, Fiera, Addenda, le Fonds de solidarité, Fondaction, la caisse de retraite de l’Université de Montréal, etc. ont pris des engagements sérieux.
D’ailleurs, des études estiment qu’au Québec, 68 % des placements se qualifient comme responsables en intégrant les critères ESG (environnement, société et gouvernance). Cette proportion serait de 62 % pour l’ensemble du Canada, de 42 % pour l’Europe, de 33 % aux États-Unis et de 24 % au Japon.
Est-ce payant d’avoir bonne conscience ? Les stratégies ESG sont moins risquées, car faire l’impasse sur le réchauffement climatique, c’est investir dans le déni. La plupart des études suggèrent qu’elles sont aussi plus rentables, car elles misent sur les entreprises qui profiteront des occasions d’affaires offertes par la décarbonation de l’économie. Mais comme toujours, certains gestionnaires feront mieux que d’autres et personne ne marchera sur l’eau.
L’autre question est l’influence de la finance durable sur le comportement des entreprises. La même étude du FMI montre que celles qui ont de mauvais scores ESG subissent un coût de financement plus élevé, qui sape leur compétitivité contre celles qui ont les meilleurs scores, un signal qui parle très fort.
Bien qu’indispensable, la finance durable n’est pas une panacée. La décarbonation passe également par des politiques publiques énergiques, dont un prix plus élevé sur le carbone.
Finalement, tant le volet financier que politique doivent s’assurer que cette transition est équitable, qu’elle aide les personnes et les régions vulnérables à se repositionner pour l’avenir.
L’épargne collective des Québécois s’est largement convertie à la finance durable. L’épargne individuelle des REER et des régimes de retraite à cotisation déterminée traîne loin derrière, mais les placements dans les fonds ESG sont en forte croissance depuis la pandémie.
À minuit moins une, il est plus que temps de revoir nos placements pour léguer à la prochaine génération une planète favorable à la vie.
Miville Tremblay is a Senior Fellow at the C.D. Howe Institute.