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Une véritable réconciliation avec les peuples autochtones doit aller au-delà des symboles pour se traduire en actions concrètes pour accélérer le rattrapage économique des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

En cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, examinons la contribution potentielle de la finance durable à ce rattrapage. En 2015, la Commission du même nom avait appelé le milieu des affaires à s’engager à reconnaître les droits des peuples autochtones, à leur faire place parmi leurs employés, dirigeants et actionnaires, à investir dans leurs communautés et à éduquer leur personnel sur ces enjeux.

PENSER AUX SEPT GÉNÉRATIONS À VENIR

Dans la culture autochtone, la terre n’appartient à personne. Les humains doivent en partager l’usufruit et en préserver les bénéfices pour les « sept générations » à venir. Les Autochtones sont donc sensibles aux menaces que font peser l’exploitation sauvage des ressources et le réchauffement climatique.

Les peuples autochtones, présents dans 90 pays, ne constituent que 6 % de la population mondiale, mais ils s’estiment responsables de la protection de 80 % de la biodiversité.

De plus en plus, on fait appel à leurs savoirs traditionnels, en complément de la science, pour comprendre et préserver l’environnement.

Nier l’existence des Autochtones peut entraîner des conséquences fâcheuses, comme on l’a vu dans le dossier des pipelines. Aux États-Unis, l’opposition des Indiens de la réserve de Standing Rock, en 2016, n’a pas empêché la construction du Dakota Access Pipeline, mais le conflit a entraîné des pertes de 7,5 milliards de dollars américains pour les promoteurs.

Les Premières Nations, comme les non-Autochtones d’ailleurs, sont parfois divisées sur les avantages et les risques d’un projet. En Colombie-Britannique, les chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en s’opposent farouchement à la construction du gazoduc Coastal GasLink, tandis que les élus de 20 conseils de bande le long du tracé veulent en acquérir une participation de 10 %. Ici aussi, les coûts explosent.

On comprend donc pourquoi les entreprises doivent révéler aux investisseurs leurs relations avec les Autochtones, même si elles sont parfois compliquées. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières sont d’ailleurs en réflexion quant à l’information divulguée sur les projets miniers, y compris les risques découlant des droits autochtones.

Les investisseurs doivent comprendre que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, enchâssée dans une loi canadienne l’an dernier, exige pour tout projet économique sur leurs territoires de coopérer de bonne foi afin d’obtenir leur « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ».

Les tribunaux canadiens n’ont pas encore interprété cette clause. Mais rappelons que la Cour d’appel fédérale a infirmé l’approbation du pipeline Northern Gateway, en 2016, jugeant la consultation « brève, pressée et inadéquate », même si certaines communautés y étaient favorables.

Bien qu’elles soient parfois longues à conclure, des ententes mutuellement bénéfiques sont possibles, comme en témoignent la paix des Braves, conclue il y a 20 ans avec les Cris pour le développement de la Baie-James et, récemment, l’entente entre les Innus, Boralex et Hydro-Québec pour le projet éolien d’Apuiat, sur la Côte-Nord.

EN MANQUE DE CAPITAUX

Les nations autochtones qui ont obtenu des compensations financières en vertu de traités ou d’indemnisations utilisent leur levier d’investisseurs pour faire pression sur des entreprises cotées en Bourse. La National Aboriginal Trust Officers Association copilote avec SHARE, une association consacrée aux droits des actionnaires, la Reconciliation and Responsible Investment Initiative, qui sollicite l’appui d’investisseurs en faveur du développement économique des Autochtones. Une résolution sur l’inclusion et la réconciliation a reçu l’an dernier un appui massif à l’assemblée des actionnaires du Groupe TMX.

Les fiducies contrôlées par les Autochtones (ou par Ottawa à leur bénéfice) n’ont pas le droit d’investir leurs quelque 20 milliards de dollars d’actifs dans leurs communautés. Et les fonds fédéraux ne suffisent pas à satisfaire des besoins en investissements, estimés à près de 200 milliards, si on inclut le logement, les infrastructures et le financement des entreprises. Plusieurs avenues sont proposées pour mobiliser des capitaux privés.

Au lieu de payer comptant un nombre limité d’infrastructures dans les communautés, Ottawa pourrait avec le même budget servir la dette d’une plus grande quantité d’ouvrages, financés par l’Autorité financière des Premières Nations, qui déjà émet des obligations sur les marchés des capitaux, puis prête aux gouvernements autochtones à des taux comparables à ceux des municipalités.

On pourrait financer ainsi le remplacement de génératrices au diesel par des énergies renouvelables dans les villages nordiques.

Plutôt que d’attendre sans fin un logement payé par le gouvernement, des Autochtones qui ont des emplois stables pourraient se construire une maison dans la réserve. Or, comme la Loi sur les Indiens ne permet pas aux prêteurs hypothécaires de saisir leur propriété en cas de défaut, les institutions refusent de prêter sans une garantie du fédéral et du conseil de bande.

La Société d’épargne des autochtones a élaboré un mécanisme qui contourne ces difficultés avec un partage de risque plus équitable et à terme, elle sollicitera à plus grande échelle le marché institutionnel.

L’Association nationale des sociétés autochtones de financement, qui regroupe une cinquantaine de membres, vient de lancer avec la BDC un Fonds de croissance autochtone de 150 millions de dollars pour soutenir les PME dans les réserves. Un premier investisseur du secteur privé s’y est joint et d’autres sont attendus.

Voilà des exemples de « finance d’impact », une branche de la finance durable où les investisseurs visent un rendement financier conséquent avec le risque couru, mais aussi des effets sociaux ou environnementaux positifs et mesurables.

La situation socioéconomique des Autochtones accuse d’importants retards, mais heureusement se lève une nouvelle génération de leaders bien formés. La finance d’impact doit les appuyer.

Miville Tremblay, Senior Fellow à L’Institut C.D. Howe, Fellow Invité Au Centre Interuniversitaire de Recherche en Analyse Des Organisations.

Published in La Presse