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Le Canada déploie le plus grand effort financier de toutes les économies avancées pour lutter contre la crise, effort que permet son endettement le plus faible. Dans l’ampleur comme dans la manière, il suit à la lettre les prescriptions du Fonds monétaire international (FMI). Il y a pourtant lieu de craindre un excès de zèle à Ottawa.

Le Moniteur des finances publiques, publié lors des récentes assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, tenues conjointement à Washington, permet de comparer la situation du Canada avec celle des autres pays développés.

Selon le FMI, le Canada enregistrera en 2020 un déficit de 19,9 % de son PIB, le pourcentage le plus élevé des économies avancées, dont le déficit moyen sera de 14,4 %. Les États-Unis nous suivront à 18,7 %.

Certains chiffres pour le Canada, qui englobent les gouvernements fédéral et provinciaux, sont plus faibles que ceux cités habituellement, car les données de Statistique Canada sont ajustées par le FMI pour permettre des comparaisons internationales.*

Puisque les économies avancées enregistraient déjà un déficit moyen de 3,3 % l’an dernier, leur effort budgétaire additionnel pour affronter la pandémie et la récession sera d’environ 10 % du PIB cette année (12 % aux États-Unis).

Pour le Canada, le chiffre est deux fois plus grand, à 19,6 % en 2020, car notre déficit n’était que de 0,3 % en 2019.

Le Canada est-il dans le pétrin pour avoir dépensé beaucoup plus que les autres pays développés ? Pas le moindrement, selon le FMI.

Notre dette nette (la dette brute moins les actifs financiers) ne représente en 2020 que 46,4 % du PIB, donc elle est deux fois moins lourde que la moyenne de 96,1 % des économies avancées. La dette américaine atteint 106,8 %.

Le Canada se démarque du fait que le Régime de pension du Canada et la Régie des rentes du Québec sont des engagements suffisamment capitalisés avec des actifs financiers de l’ordre de 500 milliards de dollars, alors que les régimes européens ne le sont pas du tout et que la caisse de la Social Security américaine se vide rapidement.

« La priorité à court terme, conseille le FMI, est d’éviter le retrait prématuré de l’appui budgétaire. L’appui devrait persister, au moins jusqu’en 2022, pour soutenir la reprise et limiter les cicatrices à long terme. »

UN NOUVEAU CONSENSUS

Voilà pour l’ampleur. Voyons maintenant la manière, qui démontre moins l’obéissance du Canada aux ordres du FMI, que l’émergence d’un nouveau consensus sur les mesures appropriées.

Dans la phase actuelle de réouverture progressive – et en dents de scie –, l’aide doit devenir plus sélective afin de ne pas bloquer une nécessaire réallocation des ressources entre les secteurs de l’économie.

L’appui de l’État doit se déplacer de la préservation des anciens emplois vers l’encouragement à occuper les emplois disponibles, en réduisant les subsides à l’emploi et en introduisant l’obligation de chercher du travail.

Il faut aider les travailleurs dans cette transition par des transferts de revenu et par la formation et la requalification.

Le FMI insiste sur la nécessité de profiter des bas taux d’intérêt pour investir, à la fois pour soutenir l’économie à court terme et créer des emplois, mais aussi pour préparer l’avenir : « Les gouvernements doivent saisir l’occasion de la relance pour s’éloigner du modèle de croissance précrise et accélérer la transition vers une économie numérique et sobre en carbone. »

De surcroît, « les politiques doivent s’employer à lutter contre la pauvreté et les inégalités pour garantir la paix sociale et une croissance durable, ainsi qu’à renforcer la résilience aux futures épidémies et autres chocs ».

À l’évidence, le nouveau credo du FMI est à mille lieues de ce qu’on appelait le « consensus de Washington », lequel cristallisait dans les années 1980 tout ce qu’on a décrié à gauche comme le néolibéralisme du marché tout puissant et de l’État impotent.

Toutefois, le FMI n’a pas renoncé à la soutenabilité des finances publiques : « Les gouvernements doivent suivre un plan budgétaire de moyen terme qui s’appuie sur la mobilisation des revenus – incluant l’évitement fiscal, dans certains cas une plus grande progressivité, une tarification du carbone et des dépenses plus efficientes. » Le mot austérité a disparu du vocabulaire.

Bien entendu, les avis du FMI sont d’ordre général, alors que la situation diffère dans chaque pays. N’empêche que certains passages du Moniteur semblent tirés du dernier discours du Trône à Ottawa ou d’annonces du gouvernement du Québec.

Le FMI prévoit une stabilisation de la dette l’an prochain dans l’ensemble des économies avancées. Au Canada, les sceptiques froncent les sourcils.

David Dodge et Don Drummond, d’ex-mandarins qui ont combattu le déficit fédéral dans les tranchées il y a 25 ans, alors que la dette nette du pays atteignait 67,6 % du PIB (selon la mesure du FMI), s’inquiètent des généreuses ambitions du gouvernement Trudeau. Ils craignent un retour à l’endettement critique de 1995-1996 d’ici cinq à dix ans.

Ces économistes ne contestent pas la nécessité d’un effort vigoureux mais temporaire pour traverser la crise ni celle d’investir dans des projets favorisant la croissance, comme la formation des travailleurs, la numérisation et le verdissement de l’économie. Par contre, ils s’inquiètent de la création de coûteux programmes sociaux financés par des déficits chroniques.

Il n’y a pas urgence d’assainir nos finances publiques, mais on a hâte de voir les plans d’Ottawa et de Québec pour graduellement reconstituer la marge de manœuvre que nous sommes bien heureux d’avoir présentement. Il n’y a aucun intérêt à s’endetter autant que les autres pays, bien au contraire.

* Les données du FMI sont pour les années civiles, plutôt que pour l’exercice budgétaire des gouvernements qui se termine fin mars. Elles englobent toutes les administrations publiques, mais excluent le passif actuariel non capitalisé des fonds de pension des fonctionnaires. Elles intègrent les mesures annoncées en septembre, mais s’appuient sur les prévisions économiques du FMI. La situation étant incertaine, il est sage de considérer les comparaisons internationales comme des ordres de grandeur.

La Presse 

MIVILLE TREMBLAY, SENIOR FELLOW, INSTITUT CD HOWE, ET FELLOW INVITÉ, CIRANO