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Alors que les gouvernements craignent de taxer davantage le carbone pour en décourager l’usage dans l’économie, le marché du pétrole en augmente brutalement le prix, se fichant éperdument de la colère des électeurs.

Nous nageons en plein paradoxe. Depuis longtemps, les économistes s’époumonent à demander aux gouvernements de hausser le prix du carbone, par une taxe ou une bourse, pour favoriser la transition vers les énergies propres, mais les politiques n’osent souvent que des pas timides.

Or, c’est le marché qui fonce présentement. Depuis le creux de la pandémie, le prix nord-américain du pétrole a bondi de 145 %, au-dessus des 80 $ US le baril, et celui du gaz naturel a triplé. Si on remonte à peu avant la pandémie, le prix du pétrole accuse tout de même une hausse de 45 %, tandis celui du gaz a doublé.

Le prix du pétrole est volatil, imprévisible. Faut dire que la politique complique un marché déjà complexe, où s’enchevêtrent le court et le long terme.

Les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Russie ont fermé partiellement le robinet pour soutenir le cours du pétrole, qui a brièvement touché un prix négatif sur le marché à terme, en avril 2020. Depuis, le déconfinement a entraîné un rebond sans précédent de la consommation mondiale, que personne n’anticipait si rapide. Pourtant, le cartel élargi n’est pas pressé de rouvrir les vannes, heureux de profiter d’un prix aussi élevé qu’il n’a pas connu depuis sept ans.

L’an dernier, à l’extérieur du cartel, les grandes pétrolières ont quasiment coupé de moitié leurs investissements dans la production, également perturbée par des ouragans. Et quoique les stocks soient bas, elles sont réticentes à développer leurs gisements, après que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) eut déclaré qu’il faut en stopper la croissance pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.

Aux États-Unis, les producteurs indépendants de pétrole et de gaz de schiste qui, dans le passé, foraient comme des fous, sont devenus beaucoup plus disciplinés.

« L’industrie pétrolière investit pour atteindre la carboneutralité », expliquait récemment un analyste de Morgan Stanley dans les pages du Financial Times. L’enjeu est que la demande pour les hydrocarbures n’est pas encore alignée avec cet objectif et qu’elle pourrait décliner plus tardivement que l’offre, ce qui se traduirait par des prix élevés.

Les grandes pétrolières subissent la pression croissante des investisseurs institutionnels qui exigent des progrès mesurables dans leur conversion aux énergies durables, quand ils ne balancent pas carrément leurs actions.

Le président Biden, qui veut passer à l’histoire pour son ambitieux programme de lutte contre les changements climatiques, est ironiquement intervenu auprès de l’OPEP – sans succès jusqu’ici – pour qu’elle augmente plus rapidement sa production. Le prix élevé de l’essence menace la reprise, mais surtout les chances des démocrates de conserver leur mince majorité au Congrès l’an prochain, voire de bloquer le retour de Trump dans trois ans.

Outre-Atlantique, les gouvernements européens, qui ont en mémoire les protestations des gilets jaunes, font des appels du pied au président Poutine pour qu’il livre plus de gaz naturel pour se chauffer cet hiver, alors que la production locale est en baisse et que les stocks sont dégarnis. Dans certains pays, le prix a quintuplé.

Larry Fink, PDG du gestionnaire de fonds BlackRock, craint que la production de pétrole ait été réduite trop rapidement, bien avant que l’énergie renouvelable soit assez abondante pour prendre le relais, frappant durement les pays les plus pauvres.

Mais selon Fatih Birol, patron de l’AIE, le problème avec la hausse brutale des coûts de l’énergie est qu’elle peut être faussement perçue comme le présage d’une transition difficile vers les énergies propres. « Ce serait faux, dit-il, mais si c’est l’interprétation qui ressort de cette situation, ça peut devenir un obstacle aux politiques qu’il faut implanter pour réussir la transition énergétique. »

UNE TAXE SUR LE CARBONE EST PRÉFÉRABLE

Une taxe sur le carbone n’est pas la même chose qu’une augmentation du prix du pétrole et du gaz naturel, même si les deux incitent les consommateurs à se tourner vers les énergies renouvelables, alors plus concurrentielles.

Une hausse des hydrocarbures enrichit les actionnaires des pétrolières et les pays producteurs. Une augmentation de la taxe sur le carbone gonfle les recettes des gouvernements ou retourne dans les poches des consommateurs, si elle est conçue pour être fiscalement neutre, comme ailleurs au Canada. Au Québec, le produit de la bourse du carbone alimente plutôt le Fonds d’électrification et de changement climatique, qui finance la transition.

Il est certes préférable d’avoir des augmentations graduelles et prévisibles du prix du carbone afin que les agents économiques puissent planifier leur transition vers les énergies propres, mais on redécouvre, si on l’avait oublié, que le marché du pétrole n’en fait souvent qu’à sa tête. Les gouvernements devront donc tenir compte de la sécurité des approvisionnements et du coup porté aux consommateurs les plus vulnérables.

La transition vers une économie sobre en carbone ne sera pas un long fleuve tranquille, d’autant que d’autres déséquilibres, hors énergie, pourront surgir entre l’offre et la demande de divers produits verts ou sales.

À court terme, les difficultés actuelles d’approvisionnement en pétrole et en gaz participent au grand choc mondial qui perturbe l’offre de nombreux produits au sortir de la pandémie, choc qui explique en grande partie la montée en flèche de l’inflation. Avec le temps, ces dislocations devraient s’amoindrir.

Pour autant, je ne vais pas m’étirer le cou sur une prévision du prix du pétrole, sachant que même la Banque du Canada n’ose pas en faire. Mais on peut penser qu’à plus long terme, la discipline de l’OPEP s’effritera comme par le passé et que les consommateurs ajusteront leur comportement. Celui qui signe cet article vient d’acheter une voiture électrique et de recharger sa carte OPUS.

Miville Tremblay est un senior fellow à L'Institut C.D. Howe et fellow invité au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organizasations.

Publié dans La Presse