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Il y a des jours où on aimerait les ralentir avec une solide dose de Ritalin, tellement nos gouvernements nous étourdissent par leur hyperactivité. Mais il faut bien admettre que les défis actuels exigent encore des actions énergiques, qui n’iront pas sans pots cassés.

Les gouvernements du Québec, toutes couleurs confondues, ont toujours été interventionnistes. Toutefois, la frénésie actuelle du cabinet Legault rappelle les premiers mandats Lesage et Lévesque ; pas tant pour la création de nouvelles institutions que par l’intense utilisation des leviers existants.

Le combat contre la COVID-19 fait toujours la une avec la troisième ronde de vaccination, les règles sanitaires allégées et le renforcement de notre système de santé exsangue, par des embauches et des augmentations salariales.

Plus loin dans les pages économiques, on apprend que la reprise fut plus rapide que prévu, même si certains secteurs souffrent encore. Le Québec a retrouvé son niveau de production et de plein emploi d’avant crise, une performance de premier de classe qui étonne le reste du pays.

Pourtant, le sentiment d’urgence demeure entier. Plus question de revenir à la vieille recette de la rectitude fiscale et des conditions propices à la croissance, comme une fiscalité concurrentielle et des traités de libre-échange.

Ce consensus a volé en éclats et le balancier revient à l’ère des politiques industrielles, jadis dénoncées comme coûteuses et mal avisées. L’approche patiente des grappes industrielles est jugée trop timide.

Les goulots d’étranglement dans la production de biens en Chine et le protectionnisme américain, qui reste bien vivant sous l’administration Biden, alimentent le nationalisme économique, notamment sur le champ de bataille des voitures électriques.

Des deux côtés de la frontière, les gouvernements misent gros sur la conversion de l’industrie automobile, prêts à financer généreusement le réoutillage des usines d’assemblage et la construction d’immenses fabriques de batteries, sans compter le réseau des stations de recharge.

LA MAIN DE L’ÉTAT FORCE LA MAIN INVISIBLE DU MARCHÉ

Le plan Biden offre une subvention de 7500 $ US sans égard à l’endroit où la voiture électrique est construite et un supplément de 4500 $ US si et seulement si elle sort d’une usine américaine syndiquée. Enfin, 500 $ US pour la batterie, pourvu que la moitié de son contenu soit américain.

Ces subsides constituent une menace sérieuse à notre l’industrie et vont à l’encontre du traité de libre-échange. Les politiciens et les diplomates canadiens sont de retour dans les antichambres de Washington pour éviter le pire.

Le Québec mise plutôt sur les véhicules électriques spécialisés comme les fourgons, les ambulances et les autobus scolaires. Mais il est aussi en concurrence directe avec l’Ontario pour les batteries, où les deux provinces font miroiter les ressources minérales nécessaires. Le Québec vante son énergie propre et bon marché, mais l’Ontario détient une avance avec la proximité des usines d’assemblage et sa main-d’œuvre plus abondante.

L’interventionnisme s’étend aux autres industries par une aide à la numérisation et à la modernisation des entreprises. L’incitatif fiscal de l’amortissement accéléré des investissements ne suffit plus. On multiplie les subventions, les « prêts pardonnables » et même les injections de capital-actions.

Investissement Québec et la BDC prennent les PME par la main pour les guider dans ce processus, où elles accusent un grave retard.

La pénurie de main-d’œuvre accentue la pression pour l’automation des procédés, qui exige un rehaussement des compétences des travailleurs. Ici encore, Québec bouscule les vieilles pratiques avec une flopée de mesures, dont des bourses généreuses pour la formation, en particulier dans les technologies de l’information (TI) et le génie.

Le gouvernement pose aussi les gestes réclamés depuis longtemps pour mieux intégrer les travailleurs immigrants, quoiqu’il s’obstine à en limiter le nombre et qu’il veuille leur imposer l’exigence absurde d’apprendre le français en six mois.

À terme, le premier ministre Legault vise à combler l’écart de richesse avec l’Ontario, un objectif louable en soi, quoique sa vision comptable des hauts salaires soit réductrice, ne tenant pas compte du pouvoir d’achat plus élevé au Québec et de la nécessité de conserver les boulots plus modestes dans les services, comme la restauration et le tourisme.

Ottawa n’est pas en reste, prêt à signer de gros chèques pour débloquer des projets de décarbonation des procédés de production, puisant dans son fonds « Accélérateur net zéro » de 8 milliards de dollars.

Certes, on peut s’interroger sur la nécessité d’engouffrer tous ces fonds publics alors que les capitaux privés n’ont jamais été si abondants.

La COP26 a mis en lumière la centaine de billions – oui, 100 000 000 000 000 $ US – que les investisseurs et les banquiers sont prêts à mobiliser d’ici 30 ans pour décarboner l’économie mondiale.

Mais cette grande transition n’est pas sans risques commercial et technologique. L’État peut dérisquer des projets qui ne se réaliseraient pas autrement ou trop lentement. C’est l’argument revisité de l’industrie naissante, qu’il faut protéger jusqu’à ce qu’elle soit bien établie. Le problème avec cette thèse est que l’industrie naissante reste souvent collée aux mamelles de l’État, comme celle des jeux vidéo, éternellement subventionnée.

Mais les gouvernements n’ont souvent guère le choix en raison d’une concurrence malsaine pour attirer les investissements stratégiques.

Avec toute cette fébrilité, il y aura certainement de coûteuses bévues. Il faut espérer que les gouvernements auront le courage de reconnaître leurs erreurs et de corriger le tir pour la suite.

Miville Tremblay est un senior fellow à L'Institut C.D. Howe et fellow invité au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organizasations.

Publié dans La Presse