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Ce n’est pas demain la veille qu’on redressera les finances publiques, mais il n’est pas trop tôt pour y réfléchir, pour amorcer la nécessaire conversation sur la pertinence de ce redressement et les meilleurs moyens d’y parvenir.

À ce sujet, on suivra avec intérêt le symposium que tiendra la semaine prochaine la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Aujourd’hui, je propose quelques repères pour le débat. Mes chiffres sont tirés du bilan de la fiscalité publié par la même chaire de recherche, que dirige Luc Godbout*.

Du côté des dépenses, le premier défi est de sevrer les individus, les entreprises et l’économie en général des mesures déployées pendant la crise, en orchestrant un passage vers les programmes réguliers, assouplis au besoin, comme l’assurance-emploi aux règles dorénavant plus généreuses. Pas trop vite pour ne pas recaler l’économie, mais pas trop lentement afin de réduire les déficits insoutenables.

Le moment et la vitesse du sevrage seront difficiles à déterminer, car une grande incertitude plane sur la durée de la pandémie et la robustesse de la reprise. Le jugement reposera sur des prévisions fragiles. Procéder graduellement réduira le risque d’erreur.

On doit aussi prévoir que les attentes envers nos gouvernements resteront élevées. Dans l’insécurité persistante, la population voudra un État fort pour gérer les crises et protéger les gens vulnérables. Les demandes des entreprises ne seront pas moindres, car plusieurs resteront ébranlées.

Pour ne citer qu’un exemple, le vieillissement de la population coûtera de plus en plus cher en soins aux aînés, en CHSLD et à la maison. Gouverner, c’est choisir, mais avec discernement. D’abord en n’imposant pas l’austérité aux personnes fragilisées par la crise, souvent des femmes et de petits salariés.

Ensuite, éviter les bêtes coupes tous azimuts, faciles à imposer car égales partout. Plutôt mettre en branle un programme rigoureux et permanent de réexamen des dépenses et des avantages fiscaux afin de s’interroger sur leur pertinence et leur efficacité. Donc des coupes sélectives qui exigent du courage face aux lobbys, non seulement pour dégager des économies, mais tout autant pour assurer la légitimité des dépenses publiques aux yeux des contribuables.

ÇA COÛTERA PLUS CHER

Convenons d’une balise : les nouvelles dépenses permanentes devront être compensées par des coupes ailleurs dans le budget ou financées par des revenus supplémentaires. Elles ne devront pas gonfler les déficits.

Une grande inconnue est l’ambitieux plan de relance en préparation à Ottawa, dont il faudra départager les dépenses permanentes et temporaires, ainsi que les investissements qui à terme accroîtront les recettes du gouvernement.

Côté revenu, la tentation est grande de céder à la pensée magique du fardeau refilé aux riches, aux GAFA ou de découvrir un trésor dans les paradis fiscaux.

Tant pour les GAFA et autres multinationales que pour les paradis fiscaux, le Canada (et a fortiori le Québec) ne peut faire cavalier seul et dépend des consensus qui émergent péniblement à l’OCDE.

À raison, on a beaucoup critiqué l’enrichissement du 1 % et l’augmentation des inégalités de revenus. Mais c’est surtout aux États-Unis que ce phénomène est d’une criante injustice. Après impôts et paiements versés aux individus – et particulièrement pour les familles avec enfants –, les inégalités de revenus sont sensiblement moins élevées au Québec qu’ailleurs au Canada ; elles sont comparables à celles de la Suède et de la France et bien moindres qu’aux États-Unis. De fait, la taxation et les diverses allocations réduisent nos inégalités du tiers. Nous avons un régime fiscal progressiste. Peut-il l’être davantage** ?

Le 1 % des Québécois les plus riches sont nettement moins riches que leurs voisins : ils gagnent 10 % des revenus totaux, contre 12 % en Ontario et 21 % aux États-Unis. Ainsi, même s’ils sont taxés aussi lourdement qu’en Ontario et plus qu’aux États-Unis, ils rapportent moins aux coffres de la province, soit près de 19 % des revenus tirés de l’impôt, contre 24 % en Ontario et 38,5 % aux États-Unis***.

Si en novembre les Américains élisent Joe Biden et un Congrès à majorité démocrate, il se pourrait qu’on impose davantage les riches et que débloquent les négociations à l’OCDE sur la fiscalité internationale. Peut-être cela dégagera-t-il une certaine marge de manœuvre pour notre fiscalité, qui doit demeurer concurrentielle, géographie oblige. Mais ce ne sera pas assez pour régler nos problèmes.

Le fardeau fiscal des Québécois demeure le plus lourd en Amérique du Nord et se compare à celui des pays européens.

S’il faut encore plonger la main dans nos poches, une augmentation de la TVQ de 1 % serait la moins dommageable des options. Elle rapporterait au gouvernement du Québec 1,25 milliard de dollars, après le nécessaire crédit remboursable aux personnes à faible revenu.

L’écofiscalité doit jouer un plus grand rôle, mais pas celui de renflouer les finances publiques.

La taxation du carbone, l’outil le plus puissant de lutte contre les changements climatiques – la prochaine crise planétaire – est présentement beaucoup trop faible pour forcer de véritables changements de comportement, comme on le voit avec la prolifération des VUS sur nos routes.

On devrait donc augmenter la taxe sur l’essence et moduler les droits d’immatriculation selon la cylindrée des véhicules. Par contre, comme ailleurs au pays, il faudrait retourner tout cet argent supplémentaire aux contribuables québécois, préférablement en baisse d’impôt. Les revenus de la bourse du carbone continueraient à être versés au Fonds d’électrification et de changements climatiques pour financer les projets du plan gouvernemental à venir.

Finalement, que faire de la dette gonflée par la crise ? Lorsque poindra la fin de la pandémie et que la reprise semblera assurée, Ottawa et Québec devront fixer de nouvelles cibles de réduction du déficit pour atteindre l’équilibre budgétaire. Ensuite, miser sur la croissance économique et espérer le maintien de bas taux d’intérêt pour obtenir une graduelle baisse de la dette en proportion du PIB. À Québec, il sera sage de maintenir les contributions au Fonds des générations, qui a contribué à l’assainissement budgétaire dans le passé.

On a appris dans cette crise le grand avantage d’avoir une solide marge de manœuvre budgétaire. Il faudra en dégager une nouvelle pour affronter la prochaine.

** Les inégalités de revenu, après impôt et transferts, sont mesurées par le coefficient de Gini, où 0 indique une égalité parfaite et 1 une inégalité complète. À 0,29, le Québec se situe au même niveau d’inégalité que la France et proche de la Suède à 0,28. Le Canada affiche 0,30 et les États-Unis 0,39.

*** Le taux marginal qui s’applique à la tranche la plus élevée du revenu est de 53,3 % au Québec et de 53,5 % en Ontario. Aux États-Unis, ce taux varie énormément d’un État à l’autre et certaines grandes villes, comme New York, ont leur propre impôt sur le revenu. Dans l’ensemble, le fardeau imposé aux riches Américains est beaucoup plus faible.

La Presse

MIVILLE TREMBLAY, SENIOR FELLOW, INSTITUT CD HOWE, ET FELLOW INVITÉ, CIRANO