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Même si le fardeau des impôts payés par les entreprises est ultimement porté par des personnes – actionnaires, employés et consommateurs –, le sens commun exige que les compagnies fassent leur part et on s’insurge lorsque les plus grandes profitent des paradis fiscaux pour se défiler.

L’administration Biden a ravivé l’espoir d’un accord international sur un taux d’imposition minimal et sur la capacité des pays à taxer les ventes faites à distance par les FANG (Facebook, Amazon, Netflix, Google) sur leur territoire national.

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les stratégies fiscales qui exploitent les différentes règles des pays pour faire disparaître des profits ou les déplacer dans des États à bas taux d’imposition coûtent entre 100 et 240 milliards de dollars américains en pertes de revenus annuels, soit l’équivalent de 4 % à 10 % des revenus imposables des sociétés.

Le taux formel d’imposition des sociétés (à distinguer du taux plus bas réellement payé) s’est effrité sous l’effet de la concurrence entre les économies avancées, passant d’une moyenne de 32 % en 2000 à un peu plus de 23 % cette année.

Toujours d’après l’OCDE, au Canada, le taux combiné fédéral provincial est passé 42,4 % à 26,5 % au cours de la même période. Aux États-Unis, le taux incluant les États a reculé de 39,3 % à 25,8 %.

Mais c’est surtout l’attrait des paradis fiscaux sans palmiers, comme l’Irlande, avec une imposition réelle à hauteur de 12,5 %, qui tracasse le gouvernement américain. Beaucoup d’entreprises y ont délocalisé des actifs incorporels, comme leur propriété intellectuelle, dont l’usage imputé aux activités américaines, à des prix de transfert élevés, permet d’y déplacer des profits.

Ce phénomène risque d’être aggravé par la volonté du président Biden d’augmenter l’imposition fédérale des sociétés américaines, de 21 % à 28 %, pour financer son ambitieux programme d’infrastructures.

Sa secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a donc proposé un grand compromis pour débloquer les négociations internationales qui s’éternisent à l’OCDE : un taux d’imposition plancher commun de 21 %, contre une concession aux pays, dont le Canada, qui veulent taxer les géants américains de l’internet.

L’offre américaine se limite cependant à la possibilité pour tous les pays de taxer une tranche des profits des 100 plus grandes multinationales, toutes nationalités et secteurs confondus, en fonction de la part des ventes réalisées sur leur territoire.

La proposition américaine est aussi conditionnelle à ce que la France et le Royaume-Uni mettent fin à leur taxe sur le numérique. Le Canada devrait donc renoncer au rêve d’une taxe Netflix spécifique.

Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. D’abord en matière budgétaire, le président propose, mais c’est un Congrès clivé à l’extrême qui tranchera. Il est probable que la hausse de l’impôt sur les profits des sociétés soit plus modeste que souhaité, même si elle ne renverse qu’en partie la baisse de 35 % à 21 % parrainée par Trump.

Il se pourrait aussi que les négociations internationales aboutissent à un taux plancher inférieur à 21 %. Ensuite, il faudra convaincre les pays à la fiscalité plus généreuse de porter leur taux au niveau minimal négocié.

Toutefois, dans l’hypothèse où une Irlande refuserait de se rallier, les États-Unis pourraient exiger de leurs multinationales les montants économisés en impôt par leurs filiales irlandaises. Et le Canada, faire de même avec les filiales irlandaises des sociétés canadiennes.

Dans ce scénario, il n’y aurait donc plus d’intérêt pour les multinationales à cacher leurs profits dans les paradis fiscaux.

Le Fonds monétaire international estime qu’environ 40 % des investissements directs à l’étranger (qui excluent les placements de portefeuille), sont en fait des investissements fantômes, des fictions comptables qui ont pour seul but l’évitement fiscal.

L’autre négociation difficile sera la répartition entre les pays de la tranche des profits des multinationales qu’ils pourraient imposer en fonction des ventes sur leur territoire. Les Américains et les Européens voudront limiter le partage des recettes fiscales tirées de leurs multinationales. Bref, ce ne sera pas le pactole.

Un tel accord marquerait un progrès certain, mais il ne mettrait pas fin à la concurrence féroce que se livrent les pays, les provinces ou les États, voire les villes pour attirer les entreprises. On continuera à se battre à coups de subventions, congés de taxes et autres avantages au nom de la création d’emplois.

Sans compter toutes les échappatoires que les fiscalistes futés dénichent pour leurs clients. Le code fiscal américain, a noté Edward Luce, chroniqueur au Financial Times, compte quatre millions de mots, soit quatre fois plus que la série des romans de JK Rowling sur Harry Potter et recèle encore plus de formules pour des tours de magie.

Il faudrait que les entreprises réalisent qu’elles profitent des nombreux services de l’État et qu’elles ont besoin de l’acceptation sociale pour opérer avec succès.

La Presse

MIVILLE TREMBLAY, SENIOR FELLOW À L'INSTITUT C.D. HOWE, FELLOW INVITÉ AU CENTRE INTERUNIVERSITAIRE DE RECHERCHE EN ANALYSE DES ORGANISATIONS