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On ne peut nettoyer la planète sans se salir les mains, mais le cambouis doit s’arrêter aux coudes pour ne pas en prendre plein la figure.

C’est en moins coloré ce que propose une feuille de route pour établir une taxonomie canadienne afin d’attirer les capitaux dans les investissements verts et ceux dits de transition, en zone grise.

La taxonomie classe les activités économiques en s’appuyant sur des critères ancrés dans la science et les trajectoires menant à la cible net zéro carbone, d’ici 2050.

Le projet est parrainé par 25 banques, assureurs et caisses de retraite, dont la Caisse de dépôt, qui ont pris le relais après l’échec d’une tentative pour atteindre un consensus à plusieurs industries. Il a été remis aux ministres des Finances, Chrystia Freeland, et de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault.

Malgré le soutien scientifique de l’Institut climatique et de l’Institut de la finance durable, les 25 membres du Conseil d’action en matière de finance durable sont conscients de leur courte légitimité. Ils recommandent au gouvernement une gouvernance plus indépendante et inclusive (mais dans laquelle ils conserveraient un rôle central) pour développer cette taxonomie, dont les critères devront se resserrer avec le temps.

Le cœur du projet n’est pas tant la définition des activités vertes, assez consensuelle, mais bien celle de la transition pour décarboner des industries indispensables, qui émettent beaucoup de GES comme l’aluminium, l’acier et le ciment.

La taxonomie n’identifie que ces deux catégories et beaucoup d’activités n’appartiendront ni à l’une ni à l’autre.

On compte une vingtaine de taxonomies dans le monde, la plus connue étant celle de l’Union européenne, qui stipule qu’une activité mérite le label vert si elle contribue à l’atteinte d’au moins un de six objectifs environnementaux, dont la réduction des GES, sans causer de préjudice important aux autres.

Or, elles ne font aucune place aux activités en transition, centrales dans l’économie canadienne. Fort bien, mais ça se complique dans l’application au pétrole et au gaz.

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La proposition énonce des principes à préciser. D’abord, l’achat de crédits carbone n’est pas reconnu. Les projets doivent entraîner de vraies baisses de GES.

Aucun investissement ne doit occasionner de préjudice important à l’environnement ou aux droits des Autochtones ni nuire aux travailleurs ou aux collectivités.

L’analyse doit évaluer les émissions de GES du projet, mais aussi celles générées par la production de l’électricité utilisée, et surtout, celles produites par toute la chaîne de valeur, des fournisseurs aux usagers.

Dans le cas du pétrole, 80 % des émissions sont attribuables aux consommateurs qui remplissent leur réservoir.

La taxonomie devient jésuitique ou rabbinique (selon votre foi) lorsqu’elle distingue la production actuelle de gaz et de pétrole et les projets d’expansion ou nouveaux projets de production.

Seuls les investissements pour réduire substantiellement, d’ici 2030, les émissions de la production actuelle sont de transition. On pense ici aux coûteux plans de captation et d’enfouissement du carbone des producteurs de sables bitumineux, qui profitent de généreux crédits fiscaux.

Les nouveaux projets, comme Bay du Nord, à Terre-Neuve, sont exclus de la taxonomie.

Enfin, pour des gains à court terme, les investissements ne doivent pas nous enfermer dans des technologies coûteuses, qui bloqueraient les progrès futurs de la décarbonation.

Les investissements visant une baisse des émissions de la production actuelle doivent avoir « une durée de vie qui est proportionnelle aux prévisions concernant la demande mondiale dans le cadre d’une trajectoire visant à limiter la hausse des températures mondiales à moins de 1,5 °C ».

Ici, ça pourrait déraper : au Canada comme dans les autres pays producteurs, on se fait fort d’être ceux qui pomperont les derniers barils de la planète, après que tous les autres auront cessé.

Pas sûr que la frontière entre les deux types de projets pétroliers sera étanche. Comment garantir qu’un financement de transition ne facilitera pas aussi un projet qui augmente la production ? Après tout, les pétrolières n’ont qu’un bilan.

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Les fines distinctions de cette taxonomie reflètent l’économie canadienne. Des environnementalistes voient plutôt dans ce compromis un pacte faustien. La crédibilité du projet dépendra du diable caché dans les détails, d’une application rigoureuse et d’une transparence totale.

Le Canada espère que sa définition de la transition influencera les autres pays et que les capitaux étrangers financeront les projets pétroliers portant cette étiquette. Elle pourrait aussi influencer le traitement des prêts de transition dans l’appréciation des risques climatiques des banques.

On évalue le déficit d’investissement dans la lutte canadienne contre les changements climatiques à 115 milliards par année. Une bonne part sera financée sur le marché des obligations vertes, en pleine croissance, mais beaucoup doit venir d’un marché d’obligations de transition à créer, d’où l’importance d’une taxonomie crédible, qui réduira le risque d’écoblanchiment.

Avançons, mais les yeux grands ouverts.

Lisez le Rapport sur la feuille de route de la taxonomie

Published in La Presse