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27 June 2018

De la part de: Gilles Gauthier

A l’attention de: Les Canadiens préoccupés par l’avenir de l’ALENA

Date: 27 juin, 2018

Objet: La renégociation de l’ALENA. Vers un nouveau paradigme? (II)

Hier, nous avons exploré le terrain difficile pour la renégociation de l’ALENA. Aujourd'hui: Quels sont les scénarios possibles?

Si nous étions dans une négociation commerciale traditionnelle ou les parties tentent de trouver les compromis nécessaires, on pourrait penser qu’un accord sera possible d’ici six à 12 mois.  On peut anticiper que les pressions vont s’intensifier de part et d’autre en raison de l’imposition des tarifs sur l’acier et l’aluminium et les mesures de représailles.

Des solutions existent certes pour la plupart des enjeux.  Par exemple, on pourrait imaginer qu’un compromis est possible sur les règles d’origine qui augmente le contenu éligible et fait un lien avec les salaires. Le Canada pourrait faire des concessions sur les demandes américaines sur les produits sous gestion de l’offre, par exemple un nouveau quota de 5% du marché et, par exemple, hausser  le seuil de minimis à $200 de $20 qu’il est présentement. Pour le Canada, malgré ces concessions, on préserverait l’essentiel, soit la pérennité de l’accord. Par ailleurs, il faudrait aussi que les États-Unis reculent sur leurs idées les plus radicales, comme la clause crépusculaire et l’élimination du mécanisme de règlement du Chapitre 19.

Ce scénario présuppose non seulement une volonté de compromis de part et d’autre, mais aussi une volonté de préserver la philosophie de l’ALÉNA comme un ensemble de règles de droits et obligations, qui laissent aux opérateurs économiques la liberté d’action dans un espace économique commun.  Il est loin d’être évident que les É-U veulent vraiment un tel accord fondé sur les règles et dans les meilleurs délais. Il est bien plus facile de critiquer l’accord actuel que de défendre un nouvel accord, surtout si les effets de ce dernier ne se mesureront qu’à moyen ou long terme.  L’incertitude est bien moins dommageable pour les É-U que pour le Canada, dû à la taille relative de nos deux marchés.

Il semble plutôt se dessiner un changement radical dans l’objectif visé de la renégociation et dans les moyens pour y parvenir.  Les tendances protectionnistes ont pris un tout nouveau tournant avec l’imposition unilatérale de tarifs sur l’acier et l’aluminium, faisant fi des règles des accords commerciaux de l’ALÉNA ou de l’OMC. On peut anticiper une décision sur les autos qui irait dans le même sens.  Avec son utilisation agressive (et abusive selon plusieurs) des recours commerciaux, l’Administration américaine s’est appropriée la définition du commerce déloyal pour justifier des mesures unilatérales.

Déjà certains des pays exemptés des tarifs sur l’acier et l’aluminium (tels la Corée, le Brésil, et l’Argentine) ont consenti à des contingents à l’importation.   Nul doute que l’Administration souhaiterait faire de même dans le contexte de la renégociation de l’ALÉNA.  Il n’est plus nécessaire de brandir la menace de terminer l’Accord.  L’Administration américaine peut se contenter de sa mort à petit feu, qui laissera place à la création d’un nouveau paradigme commercial qui passe par la mise en place de plusieurs accords sectoriels de « managed trade ».  L’acier, l’aluminium, l’automobile, le bois d’œuvre, les produits sous gestion de l’offre et possiblement d’autres produits (tel le papier) seraient touchés.

Bien sûr le Canada se doit de résister, mais aurons-nous le choix?  Les pressions seront énormes si l’industrie de l’auto devient une cible.  Le secteur automobile représente 20% des exportations canadiennes (autos et pièces), et si on ajoute les autres secteurs cités, on arrive près du tiers des exportations canadiennes. 

En conclusion, il n’y a pas de quoi être optimiste.  Il y a une tendance lourde aux États-Unis pour le protectionnisme. Tant que l’économie américaine va bien, et que le dollar canadien offre un coussin concurrentiel, le Canada pourra se maintenir face à cet assaut économique. Fondamentalement, je crains que l’on ne se dirige vers un changement de paradigme et cela n’est pas de bon augure. Si jamais on est contraint d’accepter des ententes de « managed trade », j’espère que l’on mettra sous le nez de l’Administration Trump une proposition de clause crépusculaire qui permettrait de revenir à un commerce fondé sur des règles dans quelques années lorsque la tempête aura passé.

 

Gilles Gauthier est un ancien fonctionnaire fédéral du commerce. Il a été ministre des Affaires économiques à l'ambassade du Canada à Washington, négociateur en chef pour l'agriculture au ministère de l'Agriculture et quatre ans à la mission canadienne à l'OMC.

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Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs. L’Institut en tant qu’organisme ne prend pas position sur des questions de politique publique.