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December 4, 2020

De la part de: Miville Tremblay

A l’attention de: Observateurs d'infrastructure

Date: 4 décembre, 2020

Subject: L'infrastructure n'est pas simple, mais les régimes de retraite peuvent aider

Je ne cherche pas à vous vendre le pont Samuel-De Champlain, croyez-moi! Seulement à vous convaincre qu’il est opportun de considérer le financement des infrastructures publiques par les caisses de retraite, qui ont besoin de ces actifs pour assurer le paiement de nos rentes.

Il y a quelques jours, Mark Machin, le patron d’Investissements RPC, qui gère les 457 milliards de dollars du Régime de pension du Canada, le grand frère du Régime des rentes du Québec, lui géré par la Caisse de dépôt, a suggéré que les gouvernements à court d’argent devraient vendre les aéroports, les routes à péage, les sociétés de services public et autres infrastructures publiques.

«Il y a tellement de capital qui court après les actifs privés, que si les gouvernements cherchent des fonds, ils vont obtenir des prix incroyables pour leurs infrastructures», a-t-il déclaré au Globe and Mail.

Les obligations aux rendements minables sont partiellement remplacées par des investissements dans les infrastructures, moins risqués que les actions et offrant des revenus modestes, mais relativement stables.

La vente de certaines infrastructures publiques est une option. L’autre est l’invitation lancée aux investisseurs patients de considérer la construction de nouvelles infrastructures. Cette seconde option est la stratégie privilégiée par le gouvernement fédéral avec sa Banque de l’infrastructure du Canada (BIC).

Or, aux yeux de l’investisseur institutionnel, il y a une immense différence entre les infrastructures existantes et les nouveaux projets. Pour des équipements comparables, les premiers sont beaucoup moins risqués que les seconds.

Les nouveaux projets sont sujets à des dépassements d’échéancier et de coût de construction, alors que les revenus futurs sont incertains – les parcs d’éoliennes et de panneaux solaires sont l'exception qui confirme la règle.

Si le Port de Montréal était mis en vente, par exemple, l’acquéreur pourrait se fier au trafic passé pour établir un prix. Il pourrait mieux assumer le risque de l’agrandissement à Contrecœur. Même chose pour Aéroports de Montréal, qui a besoin de capitaux pour poursuivre sa modernisation.

Hérésie ? La Caisse de dépôt et placement possède d’importantes participations dans l’aéroport Heathrow, à Londres, ainsi que dans une dizaine de ports et terminaux à travers le monde, y compris en Colombie-Britannique. La Caisse, Investissements RPC et les autres grandes caisses de retraite et fonds souverains se disputent les projets d’infrastructures mis en vente, car ils sont avantageux pour leurs commettants.

C’est d’ailleurs ce qui explique le pari audacieux de la Caisse dans le REM. Plutôt que de payer le prix fort pour les infrastructures existantes, pourquoi ne pas en créer de nouvelles ? C’est toutefois une avenue nettement plus risquée, même si potentiellement plus payante, que les autres investisseurs ne sont pas encore prêts à emprunter.

D’où l’idée originale de la BCI, qui devait absorber une partie du risque pour limiter celui des investisseurs privés. Or, jusqu’à présent, elle se contente de prêter à taux préférentiel, un incitatif plutôt timide.

Pour le REM, la BCI allonge 1,3 milliard de dollars sur 15 ans à un taux d’intérêt de 1 pourcent à 3 pourcent. La contribution du gouvernement du Québec du même montant prend la forme d’actions subordonnées sans droit de vote, tandis que la Caisse investit 3 milliards sous la forme d’actions privilégiées au rendement de 8 pourcent. Ici, c’est Québec qui prend le risque d’un rendement incertain.

Malheureusement, les premiers pas de la BCI, créée il y a trois ans, ont été longs et pénibles. Ce printemps, on a d’ailleurs nommé Michael Sabia comme nouveau président du conseil. L’ancien patron de la Caisse était l’un de ceux qui avaient convaincu le gouvernement Trudeau de créer cette institution.

Le site web de la BIC recense 10 projets, mais il semble que le REM soit le seul à être sorti de terre, les autres étant à diverses étapes de planification. Début octobre, le gouvernement Trudeau a promis d’investir dans les prochains deux à trois ans 10 des 35 milliards de la cagnotte de la BIC.

Sabia tient toujours à financer des projets rentables susceptibles d’intéresser des capitaux privés, qui viendraient décupler ceux de la BIC. Les gouvernements et les investisseurs ont des intérêts différents, mais aussi un intérêt commun dans certains projets, à certaines conditions. Le défi est d’identifier des infrastructures qui s’y prêtent, des investisseurs responsables et patients, mais surtout, fixer le partage des risques entre les parties.

Plusieurs formes d’entente ont été expérimentées au Canada et ailleurs dans le monde, certaines réussies, d’autres désastreuses. Ces contrats doivent donc être négociés avec soin. Mais avant toute chose, il faut procéder à l’analyse économique des coûts et des avantages du projet.

Bref, ce processus prend beaucoup de temps. Si on veut seulement stimuler l’économie, suggérait ironiquement John Maynard Keynes, «le gouvernement devrait payer des gens pour creuser des trous dans la terre et ensuite les remplir». Un peu plus utile, pourrais-je ajouter, boucher les trous dans les infrastructures existantes.

Si, en revanche, on veut renforcer la structure économique et la croissance de la productivité, on doit prendre le temps de bien faire les choses. Et pourquoi pas en mobilisant les capitaux de nos caisses de retraite?

Miville Tremblay, senior fellow, Institute C.D. Howe et fellow invite, CIRANO.

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Les opinions exprimées dans cet article sont celles de les auteurs. L’Institut en tant qu’organisme ne prend pas position sur des questions de politique publique.



Une version de ce mémo a d'abord été publiée dans La Presse.