-A A +A
12 February 2021

De: Tommy Gagné-Dubé, Luc Godbout et Suzie St-Cerny

À:  Carla Qualtrough, ministre de l'emploi, et Chrystia Freeland, ministre des finances

Date: 12 février 2021

Sujet: L’histoire sans fin de la PCU

Les critères d’admissibilité pour avoir droit à la PCU étaient relativement simples; avoir gagné plus de 5000$ de revenu de travail l’année précédente (ou dans les 12 mois précédant la demande), ne pas gagner plus que 1000$ par mois et avoir cessé de travailler à cause de la COVID-19.

Malgré tout, devant une certaine confusion, le gouvernement fédéral a annoncé cette semaine que les travailleurs autonomes ayant présenté une demande de PCU alors qu’ils atteignaient le seuil d’admissibilité en fonction de leur revenu brut (plutôt que de leur revenu net) ne seront pas tenus de rembourser la PCU, pourvu qu’ils répondent aux autres critères.

Pour les travailleurs autonomes, la question du revenu, brut ou net, à considérer pour atteindre le critère de 5000$ a rapidement été soulevée. Cette question simple aurait dû être clarifiée promptement, malheureusement ce ne fut pas le cas. À la mi-avril, lors d’un Webinaire de l’APFF, les représentants de l’ARC n’étaient toujours pas en mesure de confirmer si le critère de 5000$ s’appliquait sur la base du revenu brut ou net. Une semaine plus tard, la Chaire obtenait d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) la confirmation qu’il s’agissait du revenu net. Force est de constater que cette information a pris du temps à circuler, même au sein des agents de l’ARC responsables de répondre aux questions des contribuables. Pourtant, il s’agissait de suivre la logique de l’impôt sur le revenu, tout en s’assurant de la cohérence avec le critère applicable aux salariés.

Une fois ce constat fait et l’admission que des informations erronées avaient été fournies, la chose à faire aurait été de transmettre, avec diligence, les précisions sur ce critère aux travailleurs autonomes.

Le programme étant terminé, deux possibilités s’offraient, à première vue, au gouvernement.

Premièrement, la meilleure option afin d’assurer un traitement équivalent entre les travailleurs autonomes restait le maintien des critères en place. Cette approche n’affranchit pas le gouvernement d’une certaine forme d’imputabilité relativement à la clarté des critères et à la qualité de l’information transmise par ses agents. Demander le remboursement de la PCU à ceux qui ont commis une erreur après avoir obtenu une information erronée de l’ARC peut apparaître difficile sur le plan moral. Le professeur Amin Mawani, dans un intelligence memo, explique bien la complexité de la situation et explore certaines avenues légales permettant d’offrir des allègements lorsqu’une information erronée est transmise par les autorités fiscales. À titre illustratif, des arrangements pour que les remboursements soient étalés sur une longue période sans intérêt auraient pu être proposés.

Deuxièmement, une option, plus coûteuse, aurait été de changer rétroactivement le critère de revenu pour l’établir sur la base du revenu brut du travailleur autonome. Ce changement aurait permis de prendre acte des inconvénients causés par l’ambiguïté initiale tout en continuant de traiter sur un pied d’égalité l’ensemble des travailleurs autonomes.

Or, le gouvernement s’est plutôt engagé dans une troisième voie, plus sinueuse. Certes, il peut apparaitre louable de régler un problème de recouvrement auprès de personnes ayant potentiellement des moyens limités. Il n’en demeure pas moins que le choix du gouvernement de gracier les travailleurs autonomes ayant obtenu la PCU après avoir fait une demande erronée en se basant sur leurs revenus bruts équivaut à un changement de critère s’appliquant seulement à ces derniers. Dès lors, ils n’auront pas à rembourser la PCU tandis que ceux l’ayant déjà remboursée vont même pouvoir la récupérer.

Évidemment, la mise en place d’une prestation, comme la PCU, entraîne inévitablement des arbitrages pour tenir compte des différentes situations (seuil de revenu mensuel permis, prise en compte des dividendes, etc.). Cela peut se justifier. Par contre, avec l’approche gouvernementale retenue, les travailleurs autonomes qui n’ont pas demandé de PCU sur la base que leur revenu net était inférieur à 5000$, même si leur revenu brut y était supérieur, n’auront rien. Ce faisant, on se trouve à «récompenser» ceux ayant fait une demande qui ne respectait pas les critères et à laisser pour compte ceux dans la même situation n’ayant pas fait de demande.

Maintenant qu’un travailleur autonome au revenu net inférieur à 5000$ peut conserver la PCU reçue, en quoi sa situation diffère-t-elle d’un travailleur autonome n’ayant pas droit à la PCRE sur la base d’un revenu net inférieur à 5000$? Aussi, avec une telle approche, que répondra à l’avenir un conseiller à son client sachant que les critères peuvent changer après coup?

Dans la mesure où le gouvernement décide de faire un changement équivalent à modifier le critère de revenu pour l’établir sur la base du revenu brut, sous l’angle de l’équité, il nous apparait préférable qu’il poursuive sa logique jusqu’au bout. Cela implique d’offrir la possibilité de demander la PCU aux travailleurs autonomes qui ne l’ont pas initialement demandé sur la base du revenu net, mais qui y aurait eu droit sur la base de la nouvelle approche du revenu brut.

Enfin, le gouvernement devra mieux justifier son approche et préciser pourquoi il y a deux poids deux mesures dans l’application des critères pour les travailleurs autonomes.

Tommy Gagné-Dubé y est professionnel de recherche, Luc Godbout est titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke et Suzie St-Cerny est professionnelle de recherche.

Pour laisser un commentaire, envoyez-nous un courriel à blog@cdhowe.org

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de les auteurs. L’Institut en tant qu’organisme ne prend pas position sur des questions de politique publique.