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1 November 2022

De: Luc Godbout et Suzie St-Cerny

À: Chrystia Freeland, Ministre des Finances et Karina Gould, Ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social

Date: 1 novembre 2022

Objet: La face cachée de l'Allocation canadienne pour enfants

Au fil des années, les mesures fiscales fédérales pour enfants ont évolué pour converger vers une prestation unique au titre de l’Allocation canadienne pour enfants (ACE), qui est relativement généreuse pour une grande proportion de familles canadiennes.

La configuration de l’ACE varie selon l’âge et le nombre des enfants et le revenu familial. La présence de deux seuils et de huit taux de réduction a, dans certains cas, pour effet une hausse significative du taux effectif marginal d’imposition (TEMI) dans des zones où ces derniers peuvent être déjà élevés, d’où un impact négatif sur l’incitation au travail. Quatre chercheurs on récemment obtenu   Quatre chercheurs ont récemment obtenu des résultats montrant que l’ACE a pu avoir un effet désincitatif à augmenter l’offre de travail.

Dans ce contexte, est-il possible de modifier les paramètres de l’ACE pour apporter des améliorations à l’incitation au travail? Si oui, à quel coût pour le gouvernement? Ou encore, quel serait l’impact sur la valeur de l’ACE reçue par les familles?

Dans une version plus détaillée d’une analyse sur l’ACE, quatre options visant à diminuer les TEMI ont été analysés. Si la première a été conçue dans une perspective de ne faire aucune famille « perdante », les trois autres options ont plutôt été conçues en vue de maintenir inchangé le coût de l’ACE, signifiant nécessairement que les changements allaient faire des « gagnants » et des « perdants ».

Deux des quatre options, bien que réduisant significativement les TEMI des familles ayant trois et quatre d’enfants y parviennent moins pour les familles ayant deux enfants et pas du tout pour les familles avec un enfant. De plus, l’importance du nombre de « perdants » (familles avec une ACE réduite) semblent les disqualifier politiquement.

Qu’en est-il des deux autres options qui gardent uniquement le premier seuil de réduction ainsi que quatre taux de réduction variables selon le nombre d’enfants, au lieu de huit? Ces options se différencient par les taux choisis. Dans l’option 1, ils permettent de s’assurer que les seuils de sortie de l’ACE demeurent les mêmes (seuils où l’ACE est réduite à zéro), tandis que dans l’option 2, ils sont choisis pour s’assurer que le coût du programme reste inchangé, nécessitant alors que les taux soient plus élevés.

Tableau 1. 	Taux de réduction de l’ACE – actuel et options

Avec l’option 1, les TEMI sont réduits de 3, 6, 8,5 et 11 points de pourcentage respectivement selon le nombre d’enfants. Toutefois, si cette option permet d’assurer qu’aucune famille ne voit leur allocation diminuer, elle implique une augmentation du coût annuel pour le gouvernement représentant 3,5 G$ en 2022 ou 14 pourcent.

L’option 2 a, quant à elle, des effets plus modestes sur les TEMI. À titre illustratif, la figure 1 montre l’effet sur les TEMI pour un couple québécois avec deux enfants. (Une illustration pour un couple ontarien est disponible dans la version anglaise du mémo.)

TEMI, couple québécois avec deux enfants (3 et 7 ans), 2022 – actuel et options

Le tableau 2 montre la distribution actuelle et projetée de l’ACE en fonction des revenus des familles. Pour l’option 1, la portion la plus importante du coût supplémentaire se retrouve entre les mains des familles canadiennes dont le revenu se situe entre 71 060 $ et 150 000 $. Dans le cas de l’option 2, il y aurait une plus grande part de l’ACE versée aux familles ayant des revenus entre 32 797 $ et 100 000 $ et inversement moins pour ceux avec des revenus plus élevés.

Distribution de l’ACE versée selon le groupe de revenus – actuelle, options et écart, Canada

Enfin, en ce qui concerne les variations d’ACE, l’option 1 permet des hausses pouvant atteindre entre 25 % et 30 % selon le nombre d’enfants. Avec l’option 2, elles sont d’un maximum de 16 %. Rappelons toutefois que dans ce cas, pour les revenus plus élevés, l’ACE est réduite jusqu’à être éliminée.

Il peut sembler exagéré de vouloir hausser le coût du programme de l’ACE (option 1). Toutefois, signalons que la croissance du coût global du programme a été de 7,5 % en cinq ans (2017-2018 à 2022-2023) alors que celui de l’ensemble des autres transferts aux particuliers a crû de 42,0 %. Ainsi, selon la volonté du gouvernement fédéral d’ajouter des sommes à l’ACE (option 1) ou de la réformer à l’intérieur du même budget (option 2), d’autres avenues peuvent évidemment être explorées.

Il est difficile de refaire ou défaire ce qui a déjà été fait, mais il ne faut pas que cela empêche de revoir certains programmes pour corriger ou améliorer certains de leurs aspects.  À propos de l’ACE, d’autres chercheurs ont aussi mis de l’avant des changements pour l’améliorer. En effet, en 2019, Kesselman proposait des scénarios de révision à l’ACE afin de mieux cibler la réduction de la pauvreté. On s’attarde cette fois à améliorer l’incitation au travail, car dans le contexte actuel de la pénurie de main-d’œuvre, chaque geste qui permettrait une atténuation mérite qu’on s’y attarde.

Luc Godbout est Professeur à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques et Suzy St-Cerny est professionelle de recherche à la Chaire en fiscalité et en finances publiques.

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Les opinions exprimées dans cet article sont celles de les auteurs. L’Institut en tant qu’organisme ne prend pas position sur des questions de politique publique.