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10 November 2020

De: Luc Godbout

À: Chrystia Freeland, Ministre des Finances

Date: 10 novembre, 2020

Re: Ancrages budgétaires, boussoles, cibles, garde-fous, règles d’or ou tutti quanti – au-delà du nom choisi, cerner leur rôle

On ne le répètera jamais assez, la crise de la COVID-19 constitue un bel exemple où l’État a un puissant rôle de régulation économique à jouer. Cette essentielle intervention gouvernementale est requise pour éviter que l’économie canadienne reste plus longtemps que nécessaire éloignée de son plein potentiel économique, entrainant dans son sillon des douloureux et importants coûts humains et sociaux.

Conséquemment, le plan de relance économique attendu prochainement doit chercher diverses actions pour contribuer à une sortie de récession rapide et efficace. Le FMI va plus loin en proposant de profiter de l’occasion pour accélérer la transition vers une économie numérique et sobre en carbone.

Devant l’incertitude actuelle, le gouvernement fédéral doit, d’un côté, éviter de s’empresser à rééquilibrer son budget au détriment d’une relance économique adéquate et de l’autre, éviter de donner l’impression d’un développement incontrôlé des dépenses qui ne pourrait mener qu’à des actions futures douloureuses pour les Canadiens et les gouvernements provinciaux.

Pour cela, plusieurs analystes économiques, chroniqueurs et universitaires interviennent publiquement pour demander au fédéral la détermination ou à tout le moins l’annonce à venir d’ancrages budgétaires. Je partage l’avis qu’il est important que le fédéral se dote de règles, peu importe qu’il les nomme: ancrages, boussoles, cibles, garde-fous ou objectifs budgétaires. Dans une allocution le 30 octobre, la Ministre apparaissait ouverte à une forme ou une autre de règles budgétaires, mais seulement après avoir lutter contre le virus et s’être assurer de la relance.

Est-ce trop tôt pour mettre en application de telles règles? Oui.

Est-ce trop tôt pour en parler ? Absolument pas.

Il s’agit d’une question de crédibilité, non seulement avec les agences de notation, mais aussi avec le public. La ministre des Finances aurait tout avantage à minimalement annoncer prochainement son intention à vouloir en adopter. Idéalement, un bon moment pour mettre carte sur table, en indiquant la direction à prendre pour davantage de transparence envers l’ensemble des canadiens et des administrations provinciales, serait lorsqu’elle annoncera son plan de relance économique ou au plus tard lors de son prochain budget. Une telle annonce n’est pas incompatible avec les objectifs actuels et légitimes indiqués par le gouvernement.

Évidemment, en pleine deuxième vague de la pandémie, il ne s’agit pas de fixer dès maintenant les paramètres précis des règles budgétaires, mais de présenter sa vision de la façon dont les déficits devront être réduits au fil du temps, tout comme le poids de la dette fédérale.

Ainsi, la ministre des Finances peut annoncer qu’elle mettra en place des règles budgétaires à une date donnée ou encore à partir du moment où un indicateur économique démontrerait que la crise économique est pratiquement derrière nous.

Si elle opte pour une date, il pourrait s’agir d’une mise en application progressive d’un plan de résorption du déficit ou de réduction du ratio d’endettement à partir de l’année budgétaire 2022-2023, par exemple.

Si elle opte pour un indicateur économique, ce pourrait être un retour à l’équilibre budgétaire progressif une fois que le taux de chômage aura reculé sous la barre d’un taux donné; par exemple, le taux pré-pandémie.

Une autre cible pourrait être d’atteindre un budget à l’équilibre une fois que l’économie canadienne n’aura plus d’écart de production par rapport à sa capacité de production.

D’ici la mise en place de règles budgétaires, et reconnaissant pleinement la pertinence des déficits causés en réponse à la pandémie, il convient d’indiquer que la situation budgétaire fédérale d’avant la pandémie a montré deux limites.

La première limite concerne le recours aux déficits lorsque l’économie est à son plein potentiel. Lorsque l’économie va bien, l’État doit collecter les revenus requis pour financer les dépenses qu’il souhaite faire. En 2020, en l’absence de la pandémie, l’économie canadienne n’aurait pas eu d’écart de production par rapport à sa capacité de production. Pourtant, le fédéral ne prévoyait pas un budget équilibré en 2020-2021 mais un déficit de 28G$. Il est possible de croire que la ministre pourrait corriger cette limite. En effet, au Forum mondial de Toronto, elle disait: […] nous pourrions dire que la rigueur budgétaire a pour objectif de nous préparer aux jours plus sombres. Ainsi, se préparer aux jours sombres se fait quand l’économie va bien.

La seconde limite concerne le maintien d’un ratio d’endettement stable en pourcentage du PIB. Le fédéral doit cibler un ratio dette/PIB en baisse progressive avec la reprise économique. En effet, si le ratio reste stable au lieu de diminuer lorsque l’économie tourne à son plein potentiel, il augmentera nécessairement lorsque l’économie ira mal. Cela revient à mettre le ratio dette/PIB sur un escalator qui ne va que vers le haut.

Au final, rappelons qu’il existait une législation fédérale sur l’équilibre budgétaire, le gouvernement libéral a choisi de l’éliminer en arrivant en poste prétextant qu’elle n’était pas compatible avec le plan gouvernemental de gestion responsable soutenant la croissance économique. Sans juger des contours de cette défunte loi, il convient toutefois d’insister sur le fait qu’il n’y a aucune incompatibilité entre règles budgétaires et croissance économique.

Gardons en tête que les règles budgétaires ont comme principal objectif d’éviter le dérapage des finances publiques tout en garantissant au gouvernement le maintien de sa capacité d’agir le moment venu lorsque nécessaire. Une règle de prudence additionnelle préférable au fait d’uniquement miser sur de bas taux d’emprunt à long terme, pourquoi s’en priver?

Luc Godbout est titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

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Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur. L’Institut en tant qu’organisme ne prend pas position sur des questions de politique publique.