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Pas facile de se faire une tête dans ce dossier, où promoteurs et opposants présentent des arguments valables, mais aussi des positions critiquables. Prenons de la hauteur pour en juger. 

L’argument central avancé dans ce journal par le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, est de « développer au Québec une économie basée sur des secteurs d’avenir » et de « réduire notre écart de richesse avec le reste du Canada » pour financer la santé et l’éducation.

Des objectifs louables, certes, mais le gouvernement de la CAQ ne semble appliquer qu’une moitié de la stratégie préconisée pour lutter contre le réchauffement climatique, qui est de s’attaquer tant aux risques qu’aux occasions d’affaires.

Ce n’est qu’au 11e paragraphe de sa tribune que le ministre mentionne rapidement « l’urgence climatique », telle une justification secondaire. Doit-on s’étonner alors que les environnementalistes soient sceptiques ?

Est-il justifié de ne pas demander une évaluation environnementale du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) si l’objectif est le développement économique ? Qu’en est-il si on vise aussi la réduction des émissions de GES ? Le BAPE peut-il statuer rapidement ?

Le gouvernement pourrait mieux défendre son dossier, mais certains critiques ont une courte vue en négligeant les bénéfices environnementaux et, surtout, la vive concurrence pour attirer Northvolt.

Vrai, une façon économique de lutter contre les changements climatiques est de protéger la biodiversité, et le gouvernement affiche ici un bulletin mitigé, même s’il a considérablement accru les territoires protégés.

À terme, les batteries produites à l’usine de Northvolt devraient équiper 1 million de véhicules électriques par année. Des batteries recyclées en fin de vie.

À vue de nez, remplacer chaque année 1 million de véhicules à essence par 1 million de véhicules électriques me semble une bonne affaire pour mère Nature, même si ça entraîne la coupe de 9000 arbres.

Je n’ai pas le nez d’un climatologue, mais je m’intéresse aux politiques économiques et à la finance durable depuis longtemps. L’industrie automobile est engagée dans une profonde transformation où les gouvernements se battent férocement pour attirer les usines de batteries.

Notre voisin américain refuse la taxe carbone qui pénalise les véhicules à essence et préfère subventionner massivement les usines de batteries et de voitures électriques. Le Canada ne pouvait faire autrement que de suivre s’il voulait conserver sa part de l’industrie.

Le Québec, qui avait tout perdu avec la fermeture des usines GM, à Boisbriand, et Hyundai, à Bromont, y a vu une belle occasion de se positionner dans la filière batterie, misant sur son électricité verte et sur des gisements de lithium facilement accessibles. Mais pour réussir, il fallait en outre offrir des subventions équivalentes à celles accordées par les Américains et, surtout, se montrer très agile.

Comprenons bien que ce n’est pas Northvolt qui a sollicité les faveurs du gouvernement, mais bien l’inverse. M. Fitzgibbon et son alter ego fédéral, François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, se sont fendus en quatre pour attirer l’entreprise.

Peter Carlsson, le Suédois qui dirige Northvolt, a un faible pour le Québec, mais pas aux dépens des facteurs qui déterminent la rentabilité de son projet. D’abord, bouger vite, pour arriver parmi les premiers sur le marché nord-américain et répondre à la demande des constructeurs automobiles. Ensuite, être proche d’un grand bassin de main-d’œuvre pour recruter 3000 travailleurs spécialisés et éviter ainsi les difficultés de sa première usine, construite dans le nord de la Suède. Enfin, avoir un accès facile à une ligne de transport électrique pour fabriquer une batterie plus verte que celle de ses concurrents.

Le vaste terrain contaminé où on fabriquait jadis des explosifs et des munitions à Saint-Basile-le-Grand et à McMasterville était le meilleur choix. Autrement, c’était la Californie. Les bons sites à Bécancour sont pris par d’autres investissements dans la filière et la main-d’œuvre, insuffisante.

L’échéancier très serré a incité le gouvernement à se dispenser d’un BAPE, ce qu’il a le droit de faire. Quoique regrettable, le réclamer aujourd’hui pourrait faire avorter ce projet de 7 milliards, le plus grand investissement privé de l’histoire du Québec.

La nécessaire décarbonation de l’économie exige des investissements colossaux, qui ne sont pas sans risque. Et il y a urgence, si on veut atteindre la cible carbone zéro en 2050 et limiter à 2 degrés le réchauffement climatique.

Pour ces travaux d’Hercule, il faut mobiliser une vaste coalition d’acteurs plus ou moins d’accord sur le meilleur plan, pas toujours évident d’ailleurs. Mais sachons reconnaître les vrais adversaires, quand s’annonce l’élection possible de Donal Trump et celle probable de Pierre Poilievre, deux alliés de l’industrie pétrolière.

Il est sain de débattre du projet Northvolt, mais est-ce pour cette cause que l’on veut déchirer sa chemise ? Je préfère repasser la mienne.

Miville Tremblay, Senior Fellow à L’Institut C.D. Howe, Fellow Invité Au Centre Interuniversitaire de Recherche en Analyse Des Organisations.

Published in La Presse