-A A +A

La finance durable n’est pas assez verte ! Non, elle est trop woke ! Pire, un foutu bordel ! lancent les critiques. Elle vit plutôt une crise de croissance.

Les actifs mondiaux des fonds communs de placement et des FNB (fonds négocié en Bourse) en finance durable ont triplé durant la pandémie, pour atteindre 3000 milliards de dollars américains, fin 2021.⁠1 Ils ont reculé depuis avec la correction des marchés, mais les flux restent positifs, malgré les dénonciations.

Les plus acerbes sont sorties de la bouche des gouverneurs de la Floride et du Texas, héraults de la droite dure et vaillants défenseurs du pétrole et des armes à feu.

Les tirs viennent aussi de la gauche, pour qui la finance durable est vert foncé ou n’est pas. L’Union européenne classe les fonds en brun, vert pâle et vert foncé. La plupart cherchent à se qualifier pour la catégorie prisée, ceux qui atteignent l’un de six objectifs sans nuire aux autres.2

Au centre, on reproche aux placements ESG (les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) d’être un foutoir de critères mal définis, mal mesurés et pas toujours facteurs de performance boursière.

Il faut dire que les apôtres de la finance durable — je plaide coupable ici — ont placé la barre bien haut.

Éclairés par des renseignements fiables sur le comportement des entreprises sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance, les capitaux responsables récompenseront les entreprises méritoires et puniront les fautives, surtout celles qui ne réduisent pas leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

Sans compter la promesse de portefeuilles moins risqués et plus payants sur le long terme, que confirment la plupart des études.

La finance tout court est déjà compliquée, répondant à un large éventail de besoins en matière d’horizon de placement, d’appétit pour le risque et de convictions sur la meilleure façon de battre les indices. La finance durable ne simplifie pas les choses en y empilant ses exigences.

DIFFICILE, MAIS ON AVANCE DANS LA BONNE DIRECTION

Les investisseurs ont besoin d’informations de qualité pour des choix éclairés. C’est encore un beau fouillis, mais des progrès sont attendus avec les normes de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) et leur imposition par les régulateurs, espérée la plus uniforme.

Encore que ces normes destinées aux investisseurs se limiteront à l’information utile pour jauger la valeur de l’entreprise, excluant celle qui permet de mesurer son impact sur l’environnement et la société.

La réglementation européenne insiste sur les deux types d’information. Ailleurs, la divulgation de l’impact des entreprises restera volontaire pour un temps, guidée par la Global Reporting Initiative, dont les normes compléteront celles de l’ISSB.

L’information ESG restera toujours une matière brute que les investisseurs devront interpréter et intégrer à leur grille décisionnelle.

Cette science encore jeune continue d’évoluer, à des vitesses inégales d’un gestionnaire à l’autre.

Et tous ne trancheront pas à l’identique des questions difficiles : faut-il exclure toutes les pétrolières ? Si oui, que fait-on des autres grands émetteurs de GES que sont les aciéristes et les transporteurs aériens ? Et des banques, qui polluent peu, mais qui financent les pétrolières ? Pour s’arrêter où ?

Est-il préférable d’investir dans les entreprises exemplaires, même si elles sont chères ? Ou plutôt dans celles qui ont un bilan entaché, mais qui sont résolues à le nettoyer et dont les actions pourraient s’apprécier par conséquent ?

En d’autres mots, veut-on décarboner son portefeuille ou l’économie ? Pas évident de bien faire les deux, sachant qu’il faudra des capitaux gigantesques pour la conversion de l’industrie traditionnelle.

N’investir que dans les énergies renouvelables est un pari risqué. Diversifier un portefeuille, l’ABC d’une gestion prudente, entraîne toutefois des compromis discutables.

Les gestionnaires de l’indice S&P 500 ESG ont été blâmés d’avoir exclu Tesla, à la pitoyable gouvernance et aux pratiques antisyndicales, pour conserver ExxonMobil, qui se compare favorablement aux autres pétrolières.

Certains investisseurs renonceront à la macédoine ESG pour privilégier des produits ciblés sur l’environnement ou la diversité et l’intégration des femmes et des minorités. Mais il y aura toujours des clients qui voudront tenir compte d’une variété de risques et d’occasions.

Bref, il n’y a pas de recette unique, car tous ne veulent pas du même plat. Malheureusement, les investisseurs individuels se laissent souvent tenter par la jolie formule proposée au menu. Dans la cuisine, les fabricants de fonds le savent et certains jouent l’ambiguïté jusqu’à l’écoblanchiment. Heureusement, les régulateurs demandent plus de transparence et punissent les prétentions non fondées.

La finance durable progresse rapidement, mais les critiques rappellent qu’elle n’est pas arrivée à maturité. L’investisseur avisé examinera la liste des ingrédients des produits qu’il achète et demandera à voir la recette du gestionnaire. Pour les rendements et pour nos enfants.

1. Données de Morningstar. En incluant les investisseurs institutionnels, la Global Sustainable Investment Alliance estimait 12 fois plus grands, à 35 301 milliards, les actifs ESG à la fin de 2020.

2. Les six objectifs sont l’atténuation des changements climatiques ; l’adaptation à ces changements ; l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques ; la transition vers une économie circulaire ; la prévention et la réduction de la pollution ; la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Miville Tremblay, Senior Fellow à L’Institut C.D. Howe, Fellow Invité Au Centre Interuniversitaire de Recherche en Analyse Des Organisations.

Published in La Presse