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ll est grand temps que nos entreprises accélèrent leur numérisation. Celles qui ne mordront pas la carotte des appuis offerts par les gouvernements et les institutions financières goûteront au bâton des concurrents qui redoublent d’ardeur.

La COVID-19 agit en accélérateur de changement, que l’on pense seulement au télétravail et aux achats en ligne qui ont grimpé en flèche. Or, ce ne sont que deux manifestations parmi plusieurs de la numérisation de l’économie, un concept large qui englobe aussi la bande passante à haut débit qui livre les séries de Netflix ou l’accès internet aux services bancaires, par fibre optique ou par les ondes de nos téléphones.

Dans les entreprises innovatrices, l’information numérisée lubrifie tous les processus. Les données massives sont analysées à l’aide de l’infonuagique et de l’intelligence artificielle. La fabrication dite 4.0 permet de surveiller et de contrôler en temps réel les robots à chaque étape de production. Ces technologies permettent d’accroître la productivité, mais perturbent aussi les modèles d’affaires traditionnels.

Une enquête mondiale de McKinsey, menée à l’automne auprès de dirigeants d’entreprises, révèle que la COVID-19 a accéléré de trois ans l’adoption d’outils numériques pour interagir avec les fournisseurs et les clients. Le bond a été spectaculaire pour les produits et pour les services numériques, qui ont connu une accélération de sept ans ! Plusieurs répondants disent avoir fait ces changements de 20 à 25 fois plus rapidement qu’attendu.

Une étude semblable réalisée par KPMG suggère que les patrons canadiens comprennent la nécessité de numériser leurs activités, mais qu’ils en sentent moins l’urgence. L’été dernier, seulement 16 % des dirigeants sondés jugeaient avoir « nettement accéléré » la numérisation de leurs activités et la création de modèles d’affaires de nouvelle génération, soit la moitié moins que les dirigeants interrogés ailleurs dans le monde.

La timidité des Canadiens ne surprend guère quand on regarde nos chiffres désolants en matière de productivité.

Le Canada se classe bien bas parmi les pays comparables de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Québec se trouve nettement sous la moyenne nationale. Le Bilan 2020 que vient de publier le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Sommers, de HEC Montréal, montre que ce retard chronique est principalement attribuable à la faiblesse des investissements des entreprises privées et aux carences de formation de notre main-d’œuvre.

FINI LES EXCUSES !

On peut toujours trouver des raisons pour retarder l’investissement. L’incertitude créée par la COVID-19 est d’ailleurs le prétexte parfait, sauf pour les concurrents étrangers, qui foncent malgré tout.

Même si la rentabilité d’un investissement en technologie peut être difficile à prévoir, la barrière du coût de financement n’a jamais été si basse, sans compter une fiscalité très attrayante pour la recherche et le développement, et pour amortir le coût des équipements.

Depuis le début de la pandémie, Ottawa et Québec ont multiplié les mesures pour soutenir les entreprises en difficulté. Les institutions financières ont servi de courroie de transmission à certains programmes et leurs directeurs de comptes se sont démenés pour conseiller et appuyer leurs clients dans l’urgence.

Les secteurs fortement touchés par le confinement, tels la restauration et le tourisme, sont encore en mode de survie à court terme. Mais les autres doivent dès à présent investir dans leur numérisation pour prospérer à long terme.

Les entrepreneurs québécois ne peuvent plus se plaindre qu’il est difficile de trouver des capitaux pour financer leur modernisation et leur croissance, pour peu qu’ils présentent un projet solide.

Ils sont bien servis par un système financier diversifié. Outre les banques de Toronto et les institutions fédérales comme la Banque de développement du Canada et Exportation et développement Canada, ils peuvent frapper à la porte de la Nationale, de Desjardins, du Fonds de solidarité FTQ, de Fondaction et de la Caisse de dépôt et placement du Québec, sans compter les fonds privés en capital-développement comme Novacap.

Ces financiers sont convaincus que l’avenir de leurs clients d’affaires passe par la modernisation de leurs procédés. C’est particulièrement vrai chez Investissement Québec, qui a récemment lancé l’initiative Productivité innovation, axée sur l’innovation en tout genre et sur la numérisation des fabricants et des entreprises qui y sont reliés par leur chaîne de valeur.

Ce programme vise des financements de 2,4 milliards de dollars sur quatre ans, qui peuvent prendre des formes variées dans la structure de capital. Mieux encore, grâce au Centre de recherche industrielle du Québec, maintenant intégré à Investissement Québec, les entrepreneurs qui ne savent pas par quel bout commencer leur numérisation peuvent y obtenir des conseils techniques.

Mais les machines et systèmes informatiques ne valent rien sans personnel compétent pour les opérer, un second défi pour la modernisation de nos entreprises et de l’économie tout entière.

Le gouvernement du Québec doit donc ouvrir plus grandes les portes de l’immigration et augmenter le budget de l’éducation, tant professionnelle qu’aux cycles supérieurs. Mais la responsabilité est partagée. Les gens d’affaires doivent également investir dans la formation de leurs employés et les encourager à innover.

Endettées, les entreprises ont souvent besoin de renforcer leur capital propre pour investir, ce qui oblige le propriétaire à s’ouvrir à de nouveaux actionnaires, un passage délicat, mais nécessaire.

Les gouvernements et les institutions financières font beaucoup, mais ils ne peuvent fournir l’audace. Les entrepreneurs qui n’ont plus le feu sacré, ni de relève, devront se résoudre à vendre, même au concurrent détesté. D’ailleurs, beaucoup d’entreprises sont trop petites et une consolidation s’impose dans plusieurs secteurs.

Survivre à la COVID-19 ne suffira pas à assurer l’avenir. Les firmes qui se numérisent lentement risquent la désuétude.

La Presse

MIVILLE TREMBLAY, SENIOR FELLOW, INSTITUT CD HOWE, ET FELLOW INVITÉ, CIRANO